Arrachés violemment à nos terres, nous n’avons plus été en mesure de parler à nos pères et à nos mères.
Emmenés de force sur un pays qui n’est pas le nôtre pour n’être plus qu’un meuble, cette situation a de quoi nous laissé sans voix.
Isolés de notre communauté, ne parlant pas la même langue pour la plupart et n’ayant pas le droit de parler, nous sommes condamnés au silence.
Et puis, même si nous avions pu parler, quoi dire à cet enfant mulâtre né du viol de sa mère par son maître ? Le doux mot « métissage » n’était pas encore à la mode à l’époque.
Alors nous avons commencé à élever nos enfants dans le silence le plus total…
Mon acte le plus difficile et le plus fort que j’ai accompli a été d’arrêter d’aller manger chez ma maman tous les dimanches.
Quelle décision difficile à prendre…
Cet acte traduisait ma décision de me construire en dehors de ses yeux, en dehors de tout ce que mes aînées avaient décidé de me léguer.
J’ai refusé de continuer d’être complice de leur silence, de leurs non-dits, de leurs dos courbés par le poids de leur vie, complice de la tristesse qu’elles portent souvent dans le fonds de leurs yeux si bien camouflée par un grand sourire pour le regard de l’autre.
Tristesse laissée par une enfance douloureuse, des histoires de familles remplies de drames, sur fond d’alcool, de violence ou d’inceste pour certaines. Tristesse nourrie par des tabous, des secrets qu’elles porteront comme un fardeau.
Leur papa leur a brisé le cœur et souvent les nôtres, nos papas, leurs maris, ont continué à piler les miettes qu’il en restait.
Dann’ Santa Barbara lamour té rosamb pa sa … lamour kom in tablo lo bann koulèr la débordé …
Alors, nous étouffer de ce qu’elles croient être l’amour a été une des solutions. Elles n’existeront qu’à travers leurs garçons et leurs filles.
« Leurs garçons »
Elle a tellement « gâté » son garçon qu’aujourd’hui il ne trouve aucune femme à la hauteur de « son monmon »….et cette situation lui convient très bien et, jamais, elle ne remettra son garçon à sa place en lui rappelant qu’il se doit de faire de sa femme une priorité…Pourtant, n’a t-elle pas eu les mêmes difficultés elle-même avec la mère de son mari, « son belmèr » ? Pourquoi reproduit-elle sa souffrance ? Pourquoi ne lui dit-elle pas qu’il n’y a pas d’amour dans l’idéalisation ?
Finalement, n’est-ce pas purement égoïste : « si out papa la pa inm a mwin komkifo, mon garson va fé son plas, mon ti kok ! » Na o mwin in boug va inm a mwin kom mavé anvi ou plito beswin dèt inmé…
Mé monmon, poukwé sé pa ou lo moun ké ou té vé inmé an promié ???
« L’homme qu’il deviendra »
Ce garçon deviendra un homme rempli de paradoxes. Constamment, il voudra rester et partir en même temps.
Inconsciemment et par amour pour cette chère mère à qui il doit tout, il devra l’aider à porter ses valises transmises de génération en génération.
Incapable d’en aimer qu’une seule à la fois, incapable d’assumer ses responsabilités, parfois violent ou reproduisant l’inceste.
Combien de femmes devront encore mourir sous les coups de ces hommes pervers narcissique ?
Combien de familles monoparentales ? Mon zenfan papa té vé pa resté …
Combien de femmes mariées devant aller sa battre avec les maîtresses de leur mari ? Oui nous n’avons pas, encore, appris la définition de la sororité ….
Combien de chansons locales continuant à dégrader l’image de la femme réunionnaise ? Les filles par pitié et par respé pou nou mèm alon arèt dans su in chanson andan i trèt a nou de michto !!!
Combien de mamans demandant à leur fille de cacher ce que Tonton lui a fait ? sékré la lé tro lour pou li porté, pi de konfians an li, son kor i sa devni in zobzé …i tom biyn bana i atann sa solman pou giny anprofité !
Combien ?
Mes frères, vous vous demandez encore pourquoi vos sœurs ne vous choisissent plus ? Pétèt parceké bana i trèt a nou ek plis respé …a zot kontinyé vey zot monmon é mank respé in fiy, in sèr, in zenfan domoun, in zenfan zot péï…
Continuez à jouer le rôle de l’esclave reproducteur sur la plantation et prétendre en même temps de vous être affranchis de vos chaînes. Quel paradoxe n’est-ce pas?
« Leur fille »
Mes sœurs, sommes-nous dans la capacité de dire « non » à nos mamans ?
Avez-vous l’impression de vous sentir obligées …
Obligées de les emmener faire leurs courses même si nous avons déjà travaillé toute la semaine et qu’elle ne veut pas y aller avec son mari ?
Obligées d’accepter leurs théories de vie sans pouvoir les contredire ?
Obligées de les écouter, de les aider jusqu’à avoir l’impression d’être devenue le pilier de la famille en plus de porter déjà son foyer ?
Pourquoi a-t-elle besoin de moi sans cesse alors qu’avec elle je ne suis pas vraiment moi ?
Je suis la fille qu’elle voudrait que je sois. Et si je ne l’étais plus ? Que se passerait -il ? Dans la mesure où dès que je m’en éloigne un peu, elle ne se gêne pas pour en parler à mes frères et sœurs. Je le sais puisqu’elle parle, également, sur eux avec moi.
Elle a passé sa vie à critiquer les hommes ? « té sèt na pwin alé pa rodé » « ma parti rode boubou pou mon kor » « té out papa là » « kom di out mémé bann bonome ou tir zot ké dovan ou mèt dériyèr zot parey lo siyn »
Comment nous construire une image positive d’eux ? Mais qui élèvent ces hommes ? Comment construire avec eux ?
Il y a tant de sujets que nous n’avons pas aborder « monmon » : tes rêves d’enfants, tes rêves de femmes, tes objectifs, tes projets, mes règles, mes premières fois, … Il me semble que tu as également oublié de me dire « mi inm a ou » et de me réchauffer de ton affection.
Tu n’as pas passé ton permis, tu n’as pas appris à nager …ils t’ont même pris ton prénom quand ils t’appellent « Madame Jean » mais Jean c’est le prénom de papa…
T’ont-ils pris également ta liberté de pensée et ta liberté d’action?
Qui encourage nos jeunes filles à devenir ce qu’elles doivent devenir ?
« la femme réunionnaise »
Mes sœurs, il est temps pour nous d’ETRE.
Nous devons nous redresser le dos, bomber le torse et lever le menton.
Je ne vais pas faire ici du féminisme réduit à être l’égal de l’homme.
Je nous demande de prendre conscience de notre rôle et de notre place dans la société.
Nou lé pa oblizé kontiniyé fé lo kèr a nou si i giny mont si roulèr !
Nous devons sortir de la sphère domestique et occuper la sphère publique.
Nous nous devons de nous aimer, de nous entraider et de nous respecter.
L’espèce humaine est pourtant la seule espèce animale dotée de la parole, nous ne pouvons plus continuer à nous priver de l’essence même de ce qui nous distingue et continuer à laisser nos pensées et nos projets enfermés à l’intérieur de nous.
Ne nous contentons plus de n’être que des humains, accordons-nous enfin le droit d’être des personnes.
Nous sommes le moteur de la société, et il y a des problèmes dans la nôtre. Il est plus qu’urgent que de passer à l’action pour les résoudre.
Alors, la première action ne serait-elle pas de briser le cycle de ce silence qui pèse sur nos épaules depuis tellement de générations ?