Au fil de l’Histoire, des femmes ont régné, mené et gagné des combats, influencé leur époque. Depuis l’antiquité, les femmes ont eu leurs entrées à de hautes fonctions et ont exercé le pouvoir, mais leur statut change sous l’Ancien Régime où elles n’ont plus accès aux rôles politiques quels qu’ils soient et à l’espace public. Elles seront bientôt les grandes oubliées de l’Histoire.
Si notre monde moderne, particulièrement depuis les années 1970, reconnaît progressivement, à nouveau, la place et l’impact des femmes contemporaines dans les différentes sphères de la société : politique, artistique, scientifique, littéraire…, en revanche, la mémoire des femmes puissantes du passé qui ont marqué leur temps est perpétuellement occultée.
La Woman Mag s’est interrogée sur ces femmes effacées de l’Histoire à travers les propos d’experts.
L’Histoire serait-elle tronquée ?
« Pendant longtemps, on a considéré que les femmes ne faisaient pas l’histoire », s’indigne Michelle Perro, historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris-Diderot.
Qui se souvient aujourd’hui des exploits de la reine grecque, Artémise d’Halicarnasse, pour avoir mis fin au règne de Cyrus le Grand en 530 avant notre ère ? Ou de la princesse Enheduanna, du IIIe siècle avant Jésus-Christ, une des Filles du roi Sargon d’Akkad, dont son influence en tant que figure religieuse et littéraire a œuvré pour unifier les différentes cités sumériennes ? Ou encore plus récemment de Margaret Hamilton, principale ingénieure en logiciel du projet Apollo, qui a est à l’origine du code utilisé pour amener l’humanité sur la lune en 1969 ?
L’historienne Éliane Viennot l’affirme : « les femmes n’ont pas été invisibilisées, mais bien effacées de l’Histoire ». Tout pense à croire que l’Histoire écrite par des hommes, qui ont longtemps occupé les postes d’archivistes, met en exergue les exploits du « sexe fort ». Aneilya Barnes, professeur de lettres classiques à la Coastal Carolina University, explique ce constat ainsi : « Parce que cet espace (sphère publique et politique) est particulièrement dominé par les hommes, le pouvoir devient un corollaire de virilité ». Plus qu’une omission volontaire, il s’agit donc d’un véritable enjeu de pouvoir.
La journaliste, essayiste et autrice de Les grandes oubliées, Titiou Lecoq, déclare : « On nous a appris que l’histoire avait un sens et que, concernant les femmes, elle allait d’un état de servitude totale vers une libération complète, comme si la marche vers l’égalité était un processus naturel. Ce n’est pas exact, on a travesti les faits ». L’Histoire retient donc essentiellement la condition passée de la femme dans un état d’asservissement à l’homme. Elle reste dans la mémoire collective, plutôt comme une femme au foyer sans grandes prétentions. Toutefois, si très récemment des évolutions de pensées tentent de valoriser les femmes dans les sociétés, Titiou Lecoq met en garde sur ces changements d’idées sociétales. Elle considère que les quelques noms célèbres comme Jeanne d’Arc, Madame de Lafayette, ou la révolutionnaire Olympe de Gouge ont finalement peut-être servi à encore plus invisibiliser les autres figures féminines. Elle constate, en effet, que si des femmes sont distinguées par leurs actions, des soupçons pèsent néanmoins sur elles. Elles sont avant tout remarquées comme des militantes et ne sont pas considérées en tant que représentantes de l’histoire objective.
Les valeurs des femmes marquantes sont-elles mises à mal ?
Non seulement dévalorisées, l’Histoire fait la part belle à des idées préconçues de femmes qui ont exercé une autorité ou une influence.
Prenons l’exemple de Cléopâtre, dernière descendante de la dynastie ptolémaïque qui gouverna l’Égypte pendant près de 300 ans. Selon Aneilya Barnes, Cléopâtre est perçue avant tout comme une femme sensuelle, qui résume là sa notoriété. Pourtant, reine d’Egypte, elle assura sa position et l’indépendance de son royaume grâce à son d’influence sur les grands et puissants empereurs romains Jules César et Marc Antoine.
Berthe de Laon est encore un exemple criant. Elle, qui a consacré sa vie à construire le destin de son fils Charlemagne et celui du royaume de France, est célèbre aujourd’hui particulièrement pour ses grands pieds !
Joséphine Baker est un autre nom bien connu pour ses talents de danseuse dénudée, mais beaucoup moins pour ses actions. Pourtant, fervente opposante à la ségrégation raciale en Amérique, elle fut même espionne pour l’état français durant la Seconde Guerre mondiale.
Il serait aisé de dresser une liste où les femmes sont traitées avec des anecdotes pareillement dédaigneuses de leur vraie valeur. Elles souffrent de préjugés trop souvent puérils qui les mettent à mal.
Qu’en est-il de la transmission de la place des femmes dans l’Education Nationale ?
L’autrice Titiou Lecoq s’interroge également sur la place des femmes dans les manuels scolaires et l’enseignement de l’Histoire.
Les programmes scolaires progressent quelque peu sur la place des femmes avec des cours spécifiques axés sur les stéréotypes hommes – femmes. Cependant, les enseignants regrettent la lenteur des réformes. Ils dénoncent des formulations ambigües très prégnantes sur le pouvoir des femmes dans les manuels. Par exemple, l’étude de l’époque carolingienne présente largement l’histoire de Charlemagne roi des francs et empereur, alors que le pouvoir de l’impératrice Irène l’Athénienne, tout aussi puissante, est minimisé.
Et puis, depuis 2018, les programmes de l’éducation nationale sont axés sur l’histoire politique qui donne peu de place aux femmes longtemps exclues de ce domaine.
Une autre problématique, soulevée par les études d’experts, consiste à qualifier des femmes « d’exceptions » comme Georges Sand, Louise Michel ou Simone Veil. C’est un piège qui incite à croire que seule une petite parcimonie de femmes est louable au sein de la société.
Car il est essentiel de montrer que les femmes ont apporté leur pierre à l’édifice de l’Histoire, aujourd’hui bon nombre d’auteurs avertis travaillent sur ce sujet épineux afin de comprendre et d’analyser les mécanismes qui tendent à faire oublier le rôle des femmes, et qui résonnent encore de nos jours. Véronique Garrigues, docteure en histoire moderne, Yurie Hong, professeur agrégé de littérature classique et d’études sur le genre, les femmes et la sexualité, mais aussi le Collectif Georgette Sand, et outre celles déjà citées dans cet article, font partie des expertes qui cherchent à redonner la place qui est due aux femmes et à bousculer des clichés tenaces. Leur préoccupation est de rétablir la vérité de l’histoire de l’humanité, tant au point de vue féminin que masculin. L’historienne et membre de l’axe genre du LabEx EHNE, Yannick Ripa, écrit « qu’il ne s’agit pas de transformer l’histoire, il faut expliquer le poids de la masculinité dans ces processus ».